Peut-on soigner les agresseurs sexuels ? ►


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Avec Chloé Danguy Teyssier, psychologue au CRIAVS Île-de-France.
Réalisé par Sébastien Brochot, préventeur-formateur au CRIAVS Île-de-France.
Le CRIAVS Île-de-France est un service des Hôpitaux de Saint-Maurice dirigé par Dr Walter Albardier.

Peut-on soigner les agresseurs sexuels ? Aujourd’hui, beaucoup de professionnels de la santé vous répondront que « oui, on peut soigner les personnes ayant commis des infractions sexuelles ».

Mais pendant longtemps, ce fut loin d’être une évidence ! Les thérapeutes ont longtemps pensé que ces personnes n’étaient pas accessibles au soin. Ils avaient en tête, comme beaucoup de gens, cette image du « monstre » impossible à soigner.

Il faut attendre les années 70-80 pour que des professionnels se disent qu’il serait peut-être pertinent de soigner les auteurs de violences sexuelles, et pas seulement de les punir. Cette étape a marqué un tournant dans la prise en charge des agresseurs, en passant du monstrueux à l’humain, en séparant les actes de la personne qui les commet. Mais cette approche a été un vrai défi pour les professionnels de santé.

Pourquoi ? Pourquoi est-ce si difficile de penser cette thérapie ? Déjà, parce que les soignants se trouvent confrontés à la prise en charge de personnes très différentes. Tous les auteurs d’infractions sexuelles ne se ressemblent pas.

Certains patients peuvent mettre leur thérapeute dans un état de sidération en leur racontant les actes commis. Certains patients sont dans des mécanismes plus ou moins destructeurs qui n’aident pas à la prise en charge. Certains patients sont dans des fonctionnements complexes, ils peuvent utiliser des aménagements défensifs rigides comme le déni, le clivage ou la relation d’emprise. Tout cela rend l’accompagnement des patients compliqué.

Pourtant, de nombreuses prises en charge sanitaire existent pour aider les auteurs de violences sexuelles. Différentes approches, différentes théories (analytique, cognitivo-comportementale, médicamenteuse…), et différents dispositifs (individuel ou en groupe). En fonction du contexte et des patients, certaines sont recommandées, d’autres moins.

Clivage et déni : mécanismes de défense des auteurs de violences sexuelles ►


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Avec Chloé Danguy Teyssier, psychologue au CRIAVS Île-de-France.
Réalisé par Sébastien Brochot, préventeur-formateur au CRIAVS Île-de-France.
Le CRIAVS Île-de-France est un service des Hôpitaux de Saint-Maurice dirigé par Dr Walter Albardier.

Certains auteurs de violences sexuelles sont pris dans une insécurité du côté des relations précoces, une incomplétude du côté de l’identité, et cela les pousse à utiliser des moyens de défense de type psychotique comme le clivage, le déni. Comprenez-bien qu’il s’agit là de mécanismes instinctifs, automatiques, et pas d’une volonté délibérée du sujet.

Le clivage de la personnalité s’appuie sur le déni de la réalité. Cela permet en fait à la personne de fonctionner selon deux niveaux qui sont à la fois contradictoires, mais qui n’entrent en conflit. Ils sont dans une ignorance mutuelle. Par ce mécanisme, les personnes vont soit isoler la souffrance psychique, soit la rejeter à l’extérieur.

Certains auteurs de violences sexuelles peuvent considérer leur passage à l’acte comme incompréhensible pour eux mêmes, comme ne leur appartenant pas. Pour eux, c’est l’extérieur qui est mauvais et qui les a conduit à agir avec violence. La réalité de l’agression leur est inacceptable : elle mobilise une angoisse ingérable pour le sujet. Il va alors dénier cette réalité grâce à l’utilisation du clivage. D’où la non reconnaissance des faits. Le clivage va lui permettre sa survie : ça permet d’expédier hors de sa conscience l’irreprésentable, « c’est moi, mais ce n’est pas moi ».

Certains auteurs de violences sexuelles vont également avoir recours à la distorsion de la réalité.

La distorsion va minimiser la gravité de l’acte et parfois retourner la culpabilité pour permettre la survie identitaire. Ceci explique très bien les paroles que peuvent avoir certains auteurs de violences sexuelles : « c’est elle, c’est lui qui m’a fait des avances, et puis de toute façon ça lui a plu ». Le sujet agresseur sort alors « grandi » du recours à l’acte et restaure un peu son narcissisme. Le passage à l’acte est donc à considérer comme l’ultime défense d’un sujet fragile à un moment particulièrement difficile de son existence.
Avec le clivage, ces patients n’ont pas conscience de leur souffrance. L’angoisse est déniée, ce qui permet d’éviter la souffrance.
Le déni permet de détacher le Moi d’une réalité extérieure qui est pénible, il permet de l’inscrire ailleurs. Les auteurs de violences sexuelles vont utiliser ce mécanisme car leur statut narcissique ne leur permet pas la reconnaissance d’une réalité externe menaçante, sidérante.

Il existe cependant des traces, dans la mémoire, de cet évènement. Un même évènement est alors réfuté dans une partie de la mémoire et inscrit dans une autre : on parle alors d’une mémoire clivée. Le même évènement donne lieu à deux souvenirs différents, deux inscriptions différentes chez le sujet.

Certains auteurs de violences sexuelles peuvent être clivés par des traumatismes affectifs déniés en raison de carences précoces. Les conflits internes sont souvent évités car ils menacent la cohérence déjà fragilisée par le clivage et l’immaturité.
Pour ces patients-là, penser est vécu comme un danger. S’attarder sur leur vécu intérieur est une intrusion insupportable parce que cela vient attaquer les aménagements défensifs mis en place, et qui ont, on l’a vu, la fonction de venir protéger de la souffrance d’un évènement douloureux alors qu’ils sont déjà fragilisés par des carences narcissiques précoces. Ils sont déjà dans un évitement de la position dépressive avec déni du souvenir traumatique. Ces sujets blessés narcissiquement, ne supportent ainsi pas qu’émergent des vécus de dévalorisation et des vécus dépressifs. Puisqu’ils ne peuvent pas élaborer la dépression, ils vont agir la souffrance. Il y a en quelque sorte un déni de l’affect dépressif qui passe par la mise en place d’une véritable idéalisation mégalomaniaque, une survalorisation narcissique au détriment d’autrui pour éviter la dépression proche du vécu d’inexistence.

Le clivage permet donc la coexistence de positions inconciliables sans émergence d’un conflit interne.

Emprise et auteurs de violences sexuelles ►


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Avec Chloé Danguy Teyssier, psychologue au CRIAVS Île-de-France.
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Dans la prise en charge sanitaire des auteurs de violences sexuelles, un élément revient régulièrement : ce sont des patients qui, souvent, ne perçoivent pas l’altérité. C’est à dire qu’ils ne considèrent pas l’autre comme sujet. Pour comprendre cela, il faut s’intéresser de plus près à ce qu’on appelle l’emprise.

L’emprise renvoie, étymologiquement, à deux sens : prendre et entreprendre. Elle relève autant de l’idée de se saisir que de celle du projet.

L’emprise, c’est une sorte d’interdit de toucher l’autre qui n’est pas intégré, c’est le fait de résoudre toute tension par un contact physique.

L’auteur de violence sexuelle, en « usant » d’emprise, agit comme l’enfant qui s’agrippe à sa mère et serait en recherche permanente de contact avec elle.

Ainsi, l’emprise est devenue son mode de relation privilégié puisque, enfant, il a pris l’habitude de résoudre ses tensions par le contact physique avec sa mère, sans limitation de la part de celle-ci, dans une forme d’indifférenciation d’avec l’autre.
Le processus d’autonomisation n’a pas pu se faire, parce que le sujet craint la séparation ou se sent disqualifié par une autonomie naissante ou encore parce que le sujet ne se reconnait pas de besoin d’autonomie de sujet.

Les patients auteurs de violences sexuelles ont acquis ce type de construction du fait d’une structure familiale pathologique. Paul Claude Racamier parle de climat incestuel où l’autre, dans sa dimension d’altérité, n’est pas véritablement perçu. Il parle de ce flou intra-familial dans lequel certaines familles sont plongées. Et ça se traduit par l’idée que le sujet peut toucher sans conséquence. L’enfant n’est pas perçu comme autre car il n’y a pas vraiment de frontière entre les individus. Cela amène une altération profonde des processus d’individuation. Comme il n’existe pas de séparation psychique nette des individus, cela empêche toute individualité. Ce qui conduit à utiliser l’emprise comme mode de relation à l’autre.

Ce mécanisme d’emprise va parfois se rejouer dans le cadre de la relation thérapeutique. Un patient demandera en quelques sortes d’avoir son thérapeute en permanence sous la main. Il s’agira pour le thérapeute de ne pas travailler seul et de pouvoir régulièrement échanger avec ses collègues sur le suivi.

La mise en place d’un groupe thérapeutique pour les auteurs de violences sexuelles ►


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Il existe plusieurs sortes de groupes pouvant accueillir des auteurs de violences sexuelles.

Il y a des groupes proposés dans le cadre des « PPR », les programmes de prévention de la récidive. Ils sont mis en place par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les « SPIP » et ont pour objectif de prévenir la commission d’une nouvelle infraction.
Il y a aussi des groupes qui vont développer les habiletés sociales, de type psycho-éducatif.

Il y a, enfin, les groupes thérapeutiques. C’est de ceux-là dont nous allons parler.

Mettre en place un groupe thérapeutique implique de réfléchir à plusieurs choses, de penser un projet, afin de constituer le cadre du groupe.

D’abord, il faut se demander qui y participe et comment les patients seront recrutés. Ce sont les indications au groupe. Soit on fait le choix du type de groupe, de ses modalités, éventuellement de ses médiations, et après on choisit les patients qui correspondent à ça, soit on fait l’inverse : on pense à des patients et on crée un groupe pour eux, un peu sur mesure. On peut mettre en place des groupes spécifiques aux auteurs de violences sexuelles, ou sous spécifiques, par exemple pour les auteurs de violences sexuelles sur mineurs, ou sur adultes, composés uniquement d’hommes, ou mixtes.

Une fois que l’on a réfléchi les indications, il faut réfléchir aux contre-indications, les patients qui ne peuvent pas s’insérer au groupe. Les patients psychotiques, dans une phase aiguë, ça peut être compliqué de les mettre en groupe. Le groupe pourrait être vécu comme persécutant.

On choisit ensuite le nombre de patients à recruter, et la façon dont ils seront recrutés : via des collègues qui vous les orienteront, en faisant connaître le groupe à tous ou en s’adressant directement à certains patients.

Il s’agit ensuite de déterminer si on met en place un groupe ouvert, semi-ouvert ou fermé, c’est-à-dire un groupe où les participants vont et viennent de manière libre, ou un groupe où les participants sont les mêmes du début jusqu’à la fin. Cela implique de penser la temporalité du groupe : si on met en place des sessions dans un temps imparti ou si cela se dessine sur la durée, et dans ce cas, quelle longévité, quelle régularité et quelle durée de séance ? L’important est de réfléchir à ce que ça implique tant du côté des patients, qui peuvent être confrontés à la difficulté de la séparation lorsqu’un participant s’en va par exemple, que du côté des soignants, à savoir si ce sont les mêmes qui assureront le suivi, ou si une rotation est envisagée.

Les thérapeutes, justement. Souvent, on préconise d’être en binôme. Un psychologue et un infirmier, un psychologue et un psychiatre, deux psychologues, à vous de voir. Il faut pouvoir réfléchir à la façon dont chacun prend place au sein du groupe : est-ce qu’il participe ? Est-ce qu’il observe ?

D’autres questions se posent : peut-on mener un groupe avec des patients que l’on suit en individuel ? Si le thérapeute de groupe ne connaît pas le patient en relation individuelle, sa relation peut paraitre plus lointaine, plus neutre, avec un regard plus objectif. Inversement, lorsque le thérapeute de groupe est aussi le thérapeute individuel, on est davantage pris dans une relation privilégiée. En fait, charge à chaque thérapeute d’observer ce qui se joue du côté des transferts et de prendre en compte leur impact sur leur relation de l’un à l’autre.

Il faut aussi pouvoir prévoir un temps de reprise en individuel de ce qui s’est pensé, éprouvé, pendant le temps de groupe. Le temps de reprise permet de lier les deux espaces d’un même dispositif, l’individuel et le groupe. Ce qui se travaille dans un espace est repris dans l’autre, et vice versa. Ça va permettre au patient, peu à peu, de différencier le public et l’intime : il y a des choses qui peuvent être dites en individuel et non en groupe ou le contraire.

Enfin, il est aussi important de réfléchir à l’outil de médiation que l’on choisit, si on en choisit un. Vous trouverez plusieurs outils sur le site violences-sexuelles.info.

Vous voyez que la mise en place d’un groupe thérapeutique nécessite de se poser un tas de questions, sans réponse définie en fait, à vous de construire ce projet en fonction des patients, de vos compétences, de l’institution dans laquelle vous intervenez, avec les possibilités qu’elle offre et les contraintes qu’elle impose, d’espace, de temps, de possibilité de reprise en équipe. Assurez-vous cependant de n’être pas seul à porter ce projet. Les CRIAVS, Centres Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles, peuvent vous y aider !

La prise en charge groupale des auteurs de violences sexuelles ►


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Réalisé par Sébastien Brochot, préventeur-formateur au CRIAVS Île-de-France.
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Il existe plusieurs dispositifs pour la prise en charge des auteurs de violences sexuelles. On peut recevoir un patient seul, en séance individuelle, ou rencontrer plusieurs patients en même temps, en séance groupale. C’est ce dont nous allons parler.

On peut avoir des tas de raisons pour mettre en place un groupe : une demande de la hiérarchie, une indication thérapeutique, un souhait du thérapeute, et ça peut aussi avec un objectif économique, comme ce fut le cas après la Seconde Guerre mondiale. Le groupe permettait de prendre en charge un plus nombre de personnes traumatisées par le conflit.

Alors, dans quelles situations la prise en charge groupale est-elle indiquée sur le plan thérapeutique ?

On sait que certains patients ayant commis des violences sexuelles peuvent mettre leur thérapeute dans un état de sidération. On sait aussi que certains patients sont dans des fonctionnements complexes, avec des aménagements défensifs rigides comme le déni, le clivage ou la relation d’emprise. Ils peuvent attaquer le cadre, ou rester dans des discours de surface.

Tout cela rend la conduite des entretiens individuels compliquée et il est difficile de faire advenir alors un processus psychique qui inviterait au changement.

Le psychiatre Claude Balier a beaucoup travaillé sur cette problématique dans les années 80-90, et sa proposition était d’aménager la rencontre. C’est à dire : ne pas travailler seul, organiser le partage d’information, être vigilant aux clivages entre les différents corps professionnels. Ne pas travailler seul permet d’éviter la relation en face à face, qui pose des difficultés.

On va donc aménager le cadre, en renonçant par exemple à une position de neutralité ou en recevant les patients à deux thérapeutes.
Cependant, un autre problème se pose. Pour beaucoup de ces patients, une attention trop ciblée sur leur vécu intérieur est perçue comme une intrusion insupportable, parce que ça vient attaquer les aménagements défensifs mis en place, dans lesquels ils sont pris : le clivage, le déni…

Cette confrontation au déni et la souffrance, que la thérapie va engendrer, impose d’établir un « contenant psychique » plus rassurant. Le groupe peut avoir cette fonction de contenant. Le psychanalyste Didier Anzieu parle d’enveloppe groupale, comme si le groupe était une coque faisant tenir tous les individus ensemble.

En mettant en place un groupe thérapeutique avec des auteurs de violences sexuelles, on espère lever le déni, le clivage et amorcer une dynamique de changement. Le patient va se confronter à l’histoire et au discours des autres participants qui peuvent résonner, faire écho à sa propre histoire. Il va pouvoir établir des liens entre ce qui se vit dans le groupe et ce qui a été vécu dans le passé.

Et puis le groupe, avec sa microculture comprenant ses règles, ses interdits, ses tabous et son idéologie peut être une bonne médiation aux relations. Il peut aider les participants à reconstituer leur histoire personnelle, restituer la valeur traumatique des éléments déniés. Les angoisses qui naîtront pendant les séances seront alors contenues par le cadre offert par le groupe. Les participants pourront se sentir revalorisés, renarcissés et soutenus.

La cohésion de groupe permet cette mise au travail, dont les effets escomptés sont l’étayage, la valorisation, la reconnaissance des autres membres, l’identification.

Par la confrontation au regard des autres participants, ayant déjà expérimenté parfois le dispositif, par un jeu d’identifications en fait, cela permet au sujet d’explorer ses propres ressentis émotionnels. L’idée étant d’amener les patients à identifier ses émotions et à s’approprier celles d’autrui, de façon à comprendre comment leurs actions entrainent des effets chez l’autre, des émotions. Il s’agit d’un travail pour développer l’empathie et l’altérité chez des patients qui présentent souvent des difficultés à décrire leur vécus émotionnels et à percevoir les émotions, avant qu’elles n’entrainent chez eux un passage à l’acte, seule décharge possible à ce moment là.

C’est pour toutes ces raisons que l’on voit de plus en plus de groupes proposés aux auteurs de violences sexuelles.